Rencontre avec Loïc Jacob, HongFei Cultures (décembre 2015)

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HONGFEI_Chun-LoicPendant le Salon du livre de Montreuil en décembre dernier, j’ai eu le plaisir de découvrir plusieurs maisons d’édition qui m’ont impressionnée par l’élégance et la singularité de leurs livres. J’ai donc profité de cette occasion pour converser avec eux au sujet de leur travail et de leur passion. Je vous invite à lire la première interview d’une série qui sera publiée au fil de l’eau sur Balad’en page. Aujourd’hui : HongFei Cultures avec Loïc Jacob, l’un de ses deux éditeurs.

Bonjour ! Merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions pour les lecteurs de Balad’ en page. J’ai eu l’occasion de lire plusieurs de vos livres et j’ai beaucoup d’admiration pour votre production qui se distingue par son originalité, sa fraîcheur et sa beauté. Pouvez-vous nous présenter votre maison d’édition et sa ligne éditoriale ?

La maison d’édition HongFei Cultures est une rencontre entre deux cultures, française et chinoise. Cette rencontre se manifeste d’abord dans notre nom, « HongFei », un mot chinois qui signifie « grand oiseau en vol ». Nous l’avons emprunté à un poète chinois du 11e siècle qui compare la vie à un grand oiseau, qui va librement à l’est, à l’ouest, qui survole les montagnes enneigées, y laisse des traces auxquelles ils ne s’attachent pas. Ces traces n’auront de sens que pour ceux qui les rencontreront. De la même manière, c’est le lecteur qui parachève l’existence des livres par la rencontre qu’il en fait. C’est le lecteur qui leur donne sens, pour lui-même.

Nous avons créé HongFei Cultures avec Chun-Liang Yeh, qui est de culture chinoise. Nous nous sommes rencontrés il y a très longtemps, et nous avons eu l’idée de monter un projet culturel ensemble, un projet qui fasse résonner nos deux cultures. Auparavant, Chun-Liang Yeh était architecte. Les circonstances lui ont donné l’occasion de concevoir de beaux livres d’architecture et de design pour un éditeur chinois. C’est après cette expérience que nous avons donc décidé de nous lancer dans l’édition, et c’est ainsi qu’est née la maison HongFei, en 2007.

Nous publions des livres autour des thématiques du voyage, de la relation à l’Autre et du rapport à l’inconnu, un rapport que nous souhaitons de désir plus que d’inquiétude. Globalement, notre préoccupation principale est l’altérité. Nous l’envisageons notamment à travers la publication de textes d’auteurs chinois que nous faisons illustrer par des artistes français.

Peut-on dire que vos ouvrages ouvrent des nouveaux horizons aux enfants ?

Tout dépend ce qu’on entend par « horizons nouveaux ». Par exemple, il est très peu de question de la Chine dans nos livres. Mais on y lit parfois des textes d’auteurs chinois qui racontent des histoires d’amour, de voyage, d’absence, de maladie ou qui évoquent les fleurs, les paysages, le temps, les parents, etc. tout comme les auteurs en France, mais à leur propre manière. Nous n’avons guère plus de trois livres qui abordent vraiment la Chine comme « objet ». On peut penser à « Chine. Scènes de la vie quotidienne », un livre-documentaire, où l’on découvre ce pays à travers le regard d’un peintre-voyageur français. L’idée n’est donc pas tant pour nous d’ouvrir le lecteur curieux à une Chine « objet de curiosité », mais plutôt d’ouvrir sa pratique du monde à l’altérité. C’est intéressant de constater que tout le monde ne pense pas de la même manière, que nous ne portons pas tous le même regard sur la réalité. Malgré tout, ces différentes façons de voir peuvent se rencontrer, se frotter les unes aux autres et, parfois, se transformer un peu. Il ne s’agit pas de perdre notre identité. Simplement, nous sommes persuadés que l’identité n’est pas « rester ce qu’on a été », mais être créateur de ce qu’on devient. Si par « horizons nouveaux » on entend les parts de nous-même que nous n’avons pas encore explorées, celles qui se révèleront parce qu’on voudra bien s’y aventurer, alors oui, les livres que nous publions en sont porteurs. Et nul besoin, d’ailleurs, que les auteurs soient chinois : je pense en particuliers à Si je grandis… et à Un Labyrinthe dans mon ventre de Mélusine Thiry ou encore à Ce n’est pas très compliqué de Samuel Ribeyron.

Comment voyez-vous le développement de votre maison d’édition ? Qu’est-ce qui a changé par rapport aux nouvelles tendances sur le marché du livre jeunesse ?

La maison existe depuis déjà 8 ans et, bien sûr, il y a eu des changements sur le marché du livre. Aujourd’hui, on parle de plus de 8.000 titres par an en jeunesse (créations et rééditions). Quant à nous, nous publions entre 8 et 10 livres par an. Alors, il faut se faire une place dans cette immense production. Par ailleurs, le volume de ventes par titre se réduit : chaque nouveau titre est tiré en moins d’exemplaires qu’il y a 10 ans ; il est donc moins vendu et chaque livre devient plus difficile à rentabiliser. Un livre a certainement une grande valeur culturelle mais c’est aussi un produit, et il faut le vendre. Nous pensons à cette réalité lorsque nous faisons nos livres. Nous concernant, depuis un an et demi, nous sentons une vraie progression en librairie. Notre catalogue est mieux connu, les libraires nous défendent et notre lectorat s’élargit. Nous ne sommes plus seulement sur une lecture de prescription (proposée par le libraire, recommandée par tel ou tel prescripteur) mais nous avons vu se mettre en place une demande.

Vous faites de très beaux livres. Il y en a certains qui sont primés, comme le dernier, « La Ballade de Mulan », paru en septembre 2015. Parlez-nous un peu de ce livre.

« La Ballade de Mulan » est typiquement au cœur de notre ligne éditoriale. C’est un texte classique chinois du 4e siècle, traduit pour HongFei par Chun-Liang Yeh avec qui nous avons créé la maison d’édition. Ce texte est le premier à raconter l’histoire de cette femme partie à la guerre à la place de son père. Pour cela, elle a revêtu des habits militaires, gagné des batailles sans jamais révéler sa qualité de femme jusqu’à son retour auprès des siens après la guerre. Ce merveilleux texte anonyme est d’une très grande fluidité et d’une simplicité remarquable. En outre, il pose les questions très actuelles de l’identité et du genre.

Nous avons eu l’idée de publier ce texte il y a trois ans. Nous avons patienté jusqu’à trouver l’illustrateur qui nous paraîtrait convenir et nous avons travaillé dessus pendant presque un an et demi, avant sa sortie en septembre 2015. L’album « La Ballade de Mulan » est illustré par Clémence Pollet et il doit beaucoup à son talent. C’est un beau livre, dans un grand format (25x34cm), un livre remarquable d’où ressort la puissance de création de l’illustratrice. Clémence a réussi à créer une image magnifique. Pour autant, ce n’est pas une image difficile ni une image performante. Mais son illustration travaille vraiment sur le symbole et rend, du même coup, ce texte chinois intemporel et universel.

En novembre 2015, ce livre recevait un prix international à Shanghai, le Prix Chen Bochui. C’est important pour nous parce que c’est la première fois qu’un éditeur français l’obtient et parce qu’il nous a classés auprès d’autres éditeurs chinois, taïwanais, anglais et américains, tous éminents. Surtout, cela montre que les Chinois ne sont pas inquiets de notre proposition éditoriale consistant à demander à un artiste qui n’est pas nécessairement de culture chinoise d’illustrer un grand texte chinois. Ils sont même plutôt curieux de cette démarche. En l’occurrence, ils ont justement apprécié que de l’image de Clémence résulte quelque chose d’universel, qui ne classifie pas ce texte comme définitivement chinois et incapable de dépasser cet état.

Je voudrais ajouter que pour ce livre, nous avons demandé à l’illustratrice de travailler en gravure, et finalement en linogravure. Il s’agissait précisément d’affirmer le statut de ce texte qui dans la littérature chinoise tient une place importante. Cela passait par un beau travail de traduction mais nous savions que l’illustration allait devoir rendre compte de ce statut. Et incontestablement, la gravure aide à obtenir cet effet. C’est la première fois que Clémence Pollet travaillait sur un de ces livres avec cette technique, et c’est une réussite.

Comment voyez-vous l’avenir de votre maison d’édition ?

Nous sommes plutôt optimistes. Nous sentons que la maison est plutôt sur une bonne voie. Nous avons de plus en plus d’auteurs qui viennent nous proposer leurs projets. Cela ouvre des horizons littéraires et graphiques. Nous avons également en préparation de beaux projets que nous initions dans l’esprit de la maison et auxquels nous sommes très attachés. Quand nous le pouvons, nous expliquons que si nous ne sommes pas des créateurs de textes ou d’images, nous créons un catalogue. Tout notre travail consiste à créer en cohérence. Même si les livres sont très différents les uns des autres, même si certains résonnent « Chine » et d’autres absolument pas, ce qui est important pour nous, c’est que tout cela soit fait dans un même esprit, avec des intentions cohérentes et lisibles, qu’en ressorte notre attachement à l’altérité plus encore qu’à l’Autre. Les quelques prix que nous avons reçu, la Pépite documentaire à Montreuil en 2014, le Chen Bochui à Shanghai en 2015, et d’autres moins connus, semblent accorder une reconnaissance du travail accompli sur divers titres. Il nous importe tout autant que nos livres soient reçus pour l’ensemble qu’ils constituent.

Que-est ce que vous allez demander au Père Noël ?

Je suis très en retard sur mes demandes au Père Noël (rire) mais je vous livre une chose plus personnelle : c’est la première fois depuis la création de notre maison d’édition que nous allons pouvoir véritablement prendre quelques jours de vacances. Alors, une petite dizaine de jours de vacances quelque part en Europe pour s’accorder uniquement du temps à ne pas penser à HongFei (rire)…

C’est super ! Bonnes vacances à vous et merci beaucoup pour cette interview très intéressante ! Je vous souhaite longue vie à HongFei Cultures et la réalisation de tous vos beaux projets pour le plus grand plaisir de vos lecteurs !

2 décembre 2015, SLPJ de Montreuil, France

Note : sur la photo en haut de la page, Loïc Jacob à gauche et Chun-Liang Yeh à droite.

Logo HongfeiculturesLe site de l’éditeur : http://www.hongfei-cultures.com/

 


2 thoughts on “Rencontre avec Loïc Jacob, HongFei Cultures (décembre 2015)

  1. Passionnante, cette interview ! Merci beaucoup à Balad’en page et Hong Fei Editions ! J’ai une petite question.. Sur le salon de Montreuil justement j’avais craqué pour un magnifique coffret des Editions Fei, Rêve dans le pavillon rouge… Mais ce n’est pas la même maison n’est-ce pas ?

    • Merci, Librosophia !
      En fait, non, ce sont deux maisons d’édition différentes.Les éditions Fei font aussi de beaux livres, leur but est « de faire découvrir aux lecteurs occidentaux les créateurs de bandes dessinées chinoises trop longtemps méconnus par le public ». Leurs lignes éditoriales sont donc différentes. Voici le lien vers leur site :

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