Rencontre avec Claude K.Dubois (avril 2015)

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Copy of claude_ (678x1024)Le nom de Claude K.Dubois est bien connu dans le monde de la littérature jeunesse francophone. Quel enfant n’a pas encore rencontré Lola le hamster, héroïne de toute une série de livres pour les petits créée par cette illustratrice douce et talentueuse ? Alors quand Gallimard m’a proposé de la rencontrer pour une entrevue, j’étais impatiente de faire connaissance avec cette auteure prolifique et cette personne très aimable. Claude K.Dubois était au Québec à l’occasion du Salon International du Livre de Québec. J’ai eu la chance de la rencontrer à Montréal, au Musée McCord, dans le cadre des activités organisées à l’occasion des 50 ans de l’école des loisirs.

Quelles sont vos impressions du Salon du Livre du Québec? C’était votre premier Salon du Livre ici, n’est-ce pas ?

Oui, c’était mon premier Salon du Livre au Québec. (rires) C’est même la première fois que je viens au Québec. Tout s’est très bien passé ! Tout a été très bien organisé, et les gens sont très sympathiques, vraiment sympathiques ! Ils sont tellement ouverts, tellement réceptifs aussi.

Vous avez eu surement plein d’enfants et plein de parents autour de vous…

Oui, plein d’enfants, plein de parents, avec une telle joie !.. Vraiment de la joie.

J’ai eu le plaisir de lire et d’apprécier une grande partie de vos créations. Je dois reconnaitre que c’est une quantité impressionnante, et de grande qualité. Depuis quand est-ce que vous vous faites publier ?

Je pense que mon premier album a été publié en 1985 ou 1986. Depuis j’en ai fait plus de 80. Je ne connais pas le nombre exact parce que je ne les compte plus ! (rires)

Est-ce que vous avez toujours rêvé de faire des livres pour enfants ?

Oui, ça a toujours été plus ou moins mon rêve. Quand j’étais petite, je voulais illustrer des magazines pour enfants parce que je les recevais à l’école et je trouvais qu’ils étaient magnifiques. Je rêvais qu’un jour ce serait mon métier, donc c’était mon projet. Et puis, mon père dessinait aussi, il faisait de la publicité. Quand j’avais 12 ou 13 ans, j’allais dessiner avec lui dans la nature. On est allé faire des croquis de paysages, et j’adorais ça ! Je me suis beaucoup intéressée à la peinture, et j’ai découvert les impressionnistes. J’ai vraiment adoré leur travail. J’étais impressionnée de voir comment la lumière peut changer les choses et comment les formes peuvent se dessiner par la lumière. Cela a été très important pour moi. J’ai une passion folle pour les impressionnistes. Et dès ce moment-là, j’ai voulu être peintre. Je voulais travailler la lumière et je sentais que ça allait être fabuleux ! Je suis rentrée aux Beaux Arts, j’ai appris plein de techniques que je n’ai finalement pas utilisées parce que je suis revenue à l’aquarelle. Entre temps, j’ai aussi découvert les albums jeunesse avec toutes leurs merveilles. Je me suis dit : « Quel merveilleux moyen d’expression ! » Parce que, finalement, ce que j’ai envie de faire, c’est d’exprimer des sentiments, exprimer des choses importantes. Il me semble que le livre jeunesse est un meilleur moyen que la peinture pour le faire.

Pourquoi trouvez-vous important de traduire des sentiments et des émotions à travers vos personnages? Quel est le rôle de l’illustration dans le livre pour enfants  selon vous?

Pour moi, le dessin exprime plus que les mots, parce que le dessin prend un peu les choses par le côté. Contrairement aux mots, on peut être pris par surprise par un dessin ou par une peinture. C’est ça qui provoque une émotion forte. Les mots ne sont pas là mais on ressent des choses, on est atteint au plus profond de soi directement sans passer par les mots. Je pense que là, on peut toucher les gens de façon plus efficace. On peut les toucher plus profondément parce que les gens baissent la garde et se laissent émouvoir beaucoup plus facilement. Et je pense que c’est important d’être touché. Parce que ça aide à grandir, à réfléchir, à se poser des questions. Ça aide à être consolé aussi. Dans mes livres, j’ai souvent un besoin de consoler.

Ça m’amène naturellement à ma question suivante. Dans la plupart de vos livres, comme par exemple, dans Lola, Bibi et le Loup, Cassandre, Ça sent bon la maman, Toto et les autres, il y a quelque chose de particulier, un sentiment inexprimable qui nous donne envie de nous sentir enfant à nouveau, de nous retrouver dans les bras de maman, se blottir contre elle, tout en douceur, enveloppé dans une couverture chaude…D’où vient ce souffle nostalgique plein de tendresse ?

Je ne suis pas certaine de connaître la réponse à cette question. Mais je pense que ce que l’on vit enfant et ce que l’on vit adulte, c’est la même chose. Dans l’enfance, on a évidemment plus de possibilité de se faire cajoler, d’être pris dans les bras et d’être chouchouté. Mais sans que ce soit pour des choses ou un événement tristes, je pense que l’être humain a besoin de ce que j’appelais une consolation permanente parce que là, on touche à quelque chose de très fort qui est une notion existentielle évidemment, de la solitude de l’être humain. Ça, je le ressens fort. Je pense qu’adulte, on a encore besoin d’être pris dans les bras, d’être au fond de son lit. D’ailleurs, on va se mettre en boule dans son lit quand on n’est pas bien. On aimerait des fois retourner à l’état fœtal, être dans le ventre de sa maman parce que la vie est dure, parce qu’il y a beaucoup de choses à surmonter. En même temps, avec l’envie de grandir, on a envie de sortir de cet état-là. Donc il y a aussi une ambivalence.

Dans vos livres, on peut distinguer deux tendances majeures. La première représente un univers de mots doux, à travers des sujets habituels pour l’enfant, son quotidien, sa routine, avec ses joies et ses tristesses. L’autre, au contraire, présente des sujets graves, délicats et difficiles à aborder, qui poussent à la réflexion et à l’action. C’est un univers avec une réalité dure, mais enrobée de mots doux et recherchés. Comment vivez-vous la transmission de ces messages par images ? Pourquoi c’est important d’en parler dans les livres pour enfants ?

Tous mes albums parlent de tendresse, d’amour et d’essais de vivre, donc d’essayer de se débrouiller pour réagir aux événements. Des fois ce sont des petits événements de la vie, mais je les traite avec beaucoup de sérieux, avec beaucoup d’humour aussi. Les grands problèmes de la vie, les grands drames sont aussi à traiter parce que si l’on n’en parle pas, les enfants qui vivent des choses dures, n’ont pas quelque chose à quoi se raccrocher. Alors, ça vaut la peine d’aborder des problèmes graves. Quand on pense à Akim court, on voit un enfant pris dans la guerre, donc c’est valable pour un enfant qui vit dans la guerre, dans une catastrophe naturelle. Mais c’est valable aussi pour d’autres enfants, comme, par exemple, un enfant qui s’est reconnu dans l’histoire parce que sa famille a vécu un incendie où ils ont tout perdu. Et ça c’est très important aussi. Un autre exemple, la séparation des parents comme dans Une histoire à deux. Ce qui est violent, c’est le rejet par l’enfant du parent qui est parti, l’enfant qui ne veut plus lui parler. Ça arrive souvent. C’est quelque chose de très dur à vivre et pour l’enfant, et pour les parents. L’enfant souffre, il rejette mais il souffre. Et je pense que de pouvoir lire une histoire où ces thèmes-là sont abordés, peut aider l’enfant à dédramatiser. Parce que l’enfant qui rejette un de ses parents, contre qui il est en colère doit probablement culpabiliser énormément aussi de ce qu’il fait, il doit se sentir mal. Dans Une histoire à deux, j’ai essayé de montrer en parallèle la vie du papa et de la petite fille, avec leurs joies et tristesses, mais j’ai essayé de faire cela avec tendresse et le respect de la souffrance de l’un comme de l’autre. Parce que la vie n’est pas facile et il y a parfois des moments dramatiques comme ça. Je pense qu’un enfant qui peut se reconnaitre là-dedans, va être aidé en établissant un parallèle entre les personnages de l’histoire et sa vie à lui. Un livre, ce n’est pas nécessairement donner une solution, mais simplement aider à parler des problèmes. Parler des problèmes, c’est déjà les débloquer parce que les cœurs vont s’ouvrir peu à peu, pour permettre aux solutions d’arriver petit à petit. Il n’y a pas de solution miracle, car sinon il n’y aurait aucun problème. Par contre, en parler ou même lire un livre où le problème est évoqué, c’est déjà le début d’une solution.

Vous vous présentez souvent aux Salons du livre et vous avez beaucoup de rencontres avec les enfants dans les bibliothèques et les écoles. Qu’est ce qui rend, à votre avis, vos personnages tellement attachants ? Qu’est ce qui fait qu’ils jouissent d’autant de succès auprès des enfants et de leurs parents ?

Ce n’est pas vraiment à moi de répondre à cette question. Mais si je crois ce que l’on me dit, les retours que j’ai au moment de rencontrer différents personnes, c’est qu’il y a un énorme besoin de tendresse dans ce monde. Pas d’une tendresse idiote, bébête, mais d’une tendresse avec l’amour de l’autre, l’amour de l’humain, le respect de chaque personne pour ce qu’elle est. On a besoin aussi de câlins, mais surtout du respect de l’autre. Les personnes qui me rencontrent, me disent : « Vous êtes en accord avec ce que vous dessinez ». Alors, peut-être que si ça plait, c’est parce que c’est sincère.

Quel est le rôle de la douceur, de la tendresse dans vos dessins ?

Je pense qu’il est important dans la vie d’une personne d’essayer de se recentrer. De voir où on est, qui on est, ce que l’on fait là – sans cesse se reposer la question, donc enlever toute l’agitation superflue et toute la vanité. Ne pas se prendre pour mieux que ce que l’on est mais pas pour pire non plus, et puis essayer d’être tranquille avec ça. J’aime l’humain, j’aime les gens. C’est une chose que j’ai envie de dire, de dire et de redire peut-être dans tous mes livres, d’une façon ou d’une autre, à travers tous les sujets. J’ai envie de dire : « Vous n’êtes pas seuls ». Peut-être parce que moi, j’étais une enfant comme ça. J’ai été une enfant solitaire et quand j’avais un problème, je pensais que j’étais la seule à avoir ces problèmes-là, qu’ils soient petits ou grands. J’avais peur d’en parler parce que je pensais que j’étais différente. Je m’aperçois que ce n’est pas vrai, que tout le monde est pareil. Donc si à travers un livre, on peut rassurer les enfants en leur faisant rencontrer des personnages qui vivent des choses similaires, et bien je pense que là, on a gagné quelque chose. L’enfant aura la possibilité de trouver des armes, et il sera plus tranquille pour grandir.

Quel est votre personnage préféré parmi tous les personnages que vous avez créés ?

Oh là là ! C’est très difficile ! Forcément, le personnage pour lequel je suis la plus connue, c’est le personnage de Lola le hamster, avec toute sa tendresse. Pour le moment, je suis très attachée à Akim court, parce que c’est assez récent et c’est un livre que j’ai porté pendant très longtemps avant de pouvoir le réaliser. C’est un sujet très difficile pour moi et très important en ce moment. Dans tous les livres que j’ai réalisés, chaque fois c’est un nouveau projet, et chaque fois cela m’apporte quelque chose. Tous ces livres que j’ai fait en tant qu’auteure moi-même, et tous ceux pour lesquels j’ai illustré le texte d’autres personnes, j’ai aimé leur histoire, donc il n’y a pas de fausses notes, je pense.

Justement, en étant auteure de textes, illustratrice d’albums et parfois les deux en même temps, comment vivez-vous cette flexibilité ? Une fois qu’on a commencé à écrire soit même, est-ce difficile d’illustrer les textes écrits par d’autres personnes ?

C’est très différent. Quand je fais le texte et les dessins, c’est comme si je faisais un tableau. C’est quelque chose d’entier, dénué pour moi d’une expression totalement personnelle. Quand je lis le texte de quelqu’un d’autre, je me l’approprie quand même, il devient le mien de toute façon. Mais ce n’est pas l’histoire que j’écris moi-même, donc ce n’est pas toujours le thème qui m’habitait à ce moment-là. Mais, évidemment, si je décide de l’illustrer, c’est qu’il me parle, c’est donc un sujet qui me touche aussi. Donc je peux me l’approprier et j’ai énormément de plaisir à le faire. D’abord, je n’ai plus le souci du texte, parce que ce n’est pas le mien, donc je ne dois pas constamment penser à ça, mais uniquement à l’illustration. Et comme je peux en toute liberté me l’approprier, j’ai beaucoup de plaisir à entrer dans un sujet ou dans un monde auquel je ne m’attendais pas. Je pense que si je faisais chaque fois le texte et l’illustration moi-même, je parlerais tout le temps de la même chose. (rires) Mais je le fais un peu quand même. Ce sont toujours des sujets forts et douloureux quand je crée moi-même, comme Akim court, Une histoire à deux, Pas belle. Mais bon, il y aussi Tombé !, Pêche à la lune et d’autres, c’est plus doux.

Quels sont vos projets pour l’avenir ? Comment gérez-vous tous vos projets créatifs au fil des jours ?

Parfois je suis sur plusieurs projets à la fois, particulièrement quand ils débutent. Soit je vais les faire rapidement l’un après l’autre, soit je ne vais pas dessiner pendant presque un an et après ils vont sortir tous en même temps, ou au contraire, ils vont venir l’un après l’autre de façon régulière. Donc des fois je fais un livre par an, des fois trois. Si j’ai un projet personnel dont je suis auteure et illustratrice, et puis qu’en même temps, un autre auteur me propose une histoire, si je suis d’accord pour l’illustrer maintenant, je vais faire les deux en même temps.

Est-ce que c’est difficile de travailler sur différents livres en même temps ?

Ça dépend du moment, ça dépend à quel degré d’avancement je suis dans l’histoire. Quand c’est vraiment tout au début de la création, c’est difficile de passer d’une histoire à l’autre. Mais quand c’est dans la réalisation, pour moi, deux histoires en même temps, c’est envisageable, tout à fait.

Comment vous sentez-vous lors de la parution de votre nouveau livre ?

Quand un livre sort, il y a déjà un an ou un an et demi qu’il est terminé, donc je suis déjà sur d’autres projets. Le grand moment, ce n’est pas quand il sort, mais quand il commence à vivre. Ce que j’aime bien, c’est un petit peu après, deux ou trois mois après la sortie du livre en librairie. Quand j’ai des retours sur le livre, quand on m’en parle, quand je vois les réactions des personnes, alors là, il recommence à exister. Ce n’est pas l’objet en lui-même, c’est plutôt sa vie d’après. Quand il est sorti et qu’il commence à être lu. Le livre qui est sorti et qui n’est pas lu, n’existe pas vraiment.

Est-ce que vous avez un souhait particulier pour des jeunes lecteurs, pour ceux qui aiment mais aussi pour ceux qui n’aiment pas trop lire ?

Je veux leur dire de lire énormément de choses différentes, beaucoup de livres de toutes sortes : des livres joyeux, des livres tristes, poétiques, des tas de choses. Parce que l’on ne sait pas ce que l’on va trouver ni à quel moment. Parce que dans toutes ces lectures, à un moment, on va trouver des petites choses qui vont nous faire grandir et qui vont nous aider à grandir.

Merci beaucoup d’avoir pris de votre temps pour parler des sujets qui vous sont chers. Je vous souhaite beaucoup d’inspiration pour créer plein d’autres livres qui sauront réconforter les petits comme les grands. Et j’espère vous revoir encore ici, au Québec !

Moi, j’espère revenir aussi ! J’ai rencontré tellement de gens agréables, simples et sympathiques, que ça me fera plaisir de revenir dans votre pays une nouvelle fois.

11 avril 2015, Montréal, Qc