Portrait littéraire/artistique #11 : Estelle Billon-Spagnol

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∗Accompagné d’un jeu littéraire de Cadavre Exquis (variante)∗ 

ESTELLE BILLON-SPAGNOL : 

« Parce que je ne suis jamais sûre de rien » 

Née en 1977, Estelle Billon-Spagnol grandit au milieu des vignes de la Champagne. Après des études de droit pénal, elle a travaillé dans la police avant de changer radicalement de route en se tournant vers la création. Aujourd’hui, elle est autrice et illustratrice jeunesse et publie chez différents éditeurs : Talents Hauts, Grasset Jeunesse, Sarbacane, Hélium, etc. Je vous invite à découvrir son

Portrait littéraire et pas que…

Le(s) mot(s) qui vous définit (définissent) le mieux…

Peut-être

parce que je ne suis jamais sûre de rien

Dessiner pour vous c’est…

raconter donc remplir des carnets donc avoir de l’encre plein les doigts donc retrouver l’âge de tous les possibles.

Vos influences littéraires/artistiques…

… il y en a des milliers ! Alors je vais juste lister, à l’instinct, les marquantes qui ne cessent de revenir : Alexandre Dumas, TOUS les westerns, Claude Ponti, Bernadette Desprès, Marc Twain, LoÏs Lowry, Agatha Christie, Claudine Desmarteau, Tomi Ungerer, Stephen King et Maupassant. Je passe vite à la question suivante pour éviter les suées. (Je déteste forcer la remontée d’un nom du fin fond de la grotte de ma mémoire mais je déteste encore plus ce sentiment d’avoir ce truc sur le bout de la langue… bref j’adore faire des listes !) (Sempé !) (Le cirque Plume ! La plus récente bouffée inspirante.)

Vous puisez votre inspiration…

dans les souvenirs réels ou inventés, dans les journaux ou au bistro ; et, quand mes antennes sont au taquet, dans n’importe quel grain de poussière que je remarque ce jour-là à cette heure-là.

Vous illustrez pour les enfants parce que…

parce que… euh je ne sais pas vraiment. Parce que c’est comme ça. Naturel, évident, stimulant, joyeux, optimiste, libérateur, intime.

Le meilleur moment pour créer…

le matin très très tôt quand tout le monde dort. Même les boulangeries et les ordis, même mon cerveau.

Votre plus beau souvenir en tant qu’illustratrice…

quand mes dessins donnent envie de dessiner. Quand mes personnages donnent envie d’inventer.

Votre lecture-refuge…

Depuis quelques années, mon rendez-vous annuel avec Walt Longmire, shérif imaginé par Craig Johnson aux éditions Gallmeister, a une odeur de couette au choco-noisette.

Le livre à offrir à tout le monde…

Comme « tout le monde » est difficile à partager, je penserais d’abord à moi : aujourd’hui 10 avril à 14h08, j’aimerais qu’on m’offre le dernier roman de Susin Nielsen. Vous repassez demain ?

Votre rêve le plus extravagant…

… se trouve dans mon dernier livre : vivre dans une champimaison [ Piouh : petit habitant du grand bois, éd.Grasset Jeunesse, 2018]. (J’essaie d’ailleurs de caser un rêve par bouquin, ça évite la frustration !)

Un petit mot pour vos lecteurs/lectrices…

Raconter des histoires, je le fais depuis que je sais tenir un feutre en main. Mais être lue par des cœurs inconnus, ça, c’est de l’or brut et précieux. J’espère vous donner autant d’ailes que vous m’en offrez. 

Merci beaucoup, Estelle,  pour vos réponses en tous points passionnantes et bonne continuation dans tous vos projets littéraires et artistiques !

Pour voir la bibliographie et le site Internet d’Estelle Billon-Spagnol, cliquez sur l’image au début de l’article ! 

Pour lire ma chronique de l’album  L’heure des carottes écrit par Estelle Billon-Spagnol (éd. Frimousse 2017), cliquez sur le titre. 

Et en bonus, un jeu du cadavre exquis pour tous les participants de la série de portraits littéraires/artistiques. Voici la contribution d’Estelle Billon-Spagnol (en jaune).

Le cadavre exquis

« Le soleil brillait sur le paysage  vallonné, caressait les vignes de ses rayons et fixait de son œil jaune la scène du crime.

— Se peut-il que ce cadavre soit exquis ? murmura le soleil.

— Il se peut, lui répondit un petit oiseau perché sur le corps frêle, celui-là l’est assurément.

Et le bec replongea au cœur de l’abdomen frétillant d’insectes et de fruits mûrs. Des grappes de raisins et des amas de figues noires recouvraient le délicieux petit cadavre. 

L’oiseau picora la cage thoracique. En becquetant un pépin de figue, il perça le cœur du cadavre. Un filet de vapeur s’en échappa en chuintant, faisant fuir le volatile à tire d’ailes. C’est ainsi que l’âme s’échappa du corps. Elle s’étira, tournoya, profitant de l’air si doux de cette fin de matinée. Elle aurait volontiers batifolé entre les vignes, voletant de-ci, de-là. Mais elle se re-condensa avec soin. L’heure n’était pas à l’éparpillement. Car d’autres allaient bientôt mourir à leur tour. 

De toute façon, l’âme n’était pas du matin. L’âme n’aimait pas, vraiment pas, qu’on la dérange. Cette âme-là n’était pas une bonne âme. Elle détestait la bonne humeur. Elle pouvait à tout moment filer sous la vapeur. Elle attendit que passe la cavalerie des étourneaux, que le soleil reprenne sa place, bien haut, sur l’écume des nuages, pour rejoindre la départementale 249. 

En planant au-dessus de la route, l’âme en rencontra une autre, une qui venait de quitter un corps à peine tiédi ayant en plein cœur une tache rouge coquelicot, ou rouge brasier ou rouge baiser.

Telles de parfaites ondes magnétiques, les deux âmes réunies se réchauffèrent, elles allaient avoir l’éternité pour faire connaissance…

Et c’est pile à ce moment-là que le vent se mit à souffler, souffler… et sépara méchamment les âmes réunies. Il ne resta au sol que l’âme volatile, de fort mauvaise humeur, songeant qu’elle était mal barrée. Il lui fallait sans tarder trouver une autre demeure si elle ne voulait pas à son tour être emportée dans les airs. C’est alors qu’elle avisa, sur le bord de la route, un jeune garçon en short, et qu’elle fondit sur lui. 

Le garçon fut traversé d’un tremblement furtif, électrique, puis une douce chaleur l’enveloppa. Il resta de longues minutes silencieux, scrutant l’horizon agité de nuages sombres. Le soleil n’apparaissait plus que par petites touches scintillantes, tel un tableau impressionniste. Le jeune garçon serrait dans sa main gauche une petite améthyste qu’il ne quittait jamais en souvenir de sa mère. Il respira profondément et murmura « allons-y ! »

L’améthyste serrée dans son poing, il traversa la départementale déserte à cette heure et alla s’agenouiller près du corps de la femme à la tache rouge baiser, rouge coquelicot ou rouge brasier. Ce corps sans âme était encore tiède. Le jeune garçon leva la tête vers le ciel soudain orageux. Un éclair cingla l’air brûlant. « C’est le moment ! » songea l’enfant. Au loin résonna la sirène d’une voiture de gendarmerie. Il ne disposait plus de beaucoup de temps. Alors d’un geste précis, l’enfant enfonça l’améthyste dans le cœur mort de la femme. Au même moment, un brutal coup de tonnerre déchira l’air électrique. Et les yeux de la morte s’ouvrirent. 

Affolé, le petit garçon prit les jambes à son coup. Il n’oubliera pourtant jamais cet instant. Les yeux bien ouverts du cadavre plongeant son regard dans le sien.La femme cadavre était, elle, allongée de tout son long sur l’asphalte chaude. La plaie qui à peine quelques minutes avant était ouverte et sanglante se refermait délicatement sur son abdomen sans laisser aucune cicatrice. Elle se sentait vivante mais ne pouvait s’identifier lorsque les secours entreprirent de lui demander son prénom. Qui était-elle?

Elle voulait dire « Je m’appelle  Capucine, j’ai seize ans et de belles dents, des jambes solides et des poings d’acier ». Mais elle avait quelque chose d’autre à faire : elle devait rejoindre… Quoi déjà ? Zut elle ne se rappelait pas. A la place, une brise s’approcha de sa cervelle qui ne tenait plus qu’à un fil et lui chuchota : « Gaston ». Voilà ! Soulagée, elle s’envola. » 

**Une petite précision concernant le jeu : il s’agit d’une version modifiée du cadavre exquis. L’incipit d’Anne Loyer laissant présager le genre policier, les participants doivent prendre conscience des contributions précédentes. 

Les dernières parutions d’Estelle Billon-Spagnol :

   


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